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Hâve, les lèvres fines, le nez fracturé en plusieurs endroits, un globe de plaeryin à peau noire saillant d’une orbite oculaire reconstituée, Nom Anor était sans aucun doute le Yuuzhan Vong le plus reconnaissable de toute la galaxie. Tout au moins pour les Jedi. La créature couverte de plumes qui sautillait à ses côtés était en revanche plus étonnante. Dépassant à peine en hauteur le niveau d’un bassin humain, se tenant sur des jambes aux articulations inversées, elle possédait des oreilles effilées, des antennes torsadées et de délicates moustaches qui bordaient une large bouche simiesque. Jacen n’avait jamais vu de créatures de ce genre et, pourtant, il ressentait la désagréable impression qu’il aurait dû en connaître l’existence.
Arrivée à mi-chemin de la rampe, là où Ganner avait accidentellement insulté le guerrier Yuuzhan Vong près de la navette de sauvetage, la chose s’arrêta et tourna la tête dans la direction du jeune homme. Même s’ils étaient séparés par deux épaisseurs de membranes translucides et distants d’une bonne centaine de mètres, elle sembla le regarder directement dans les yeux. La créature soutint son regard suffisamment longtemps pour envoyer un frisson glacé courir le long de l’épine dorsale de Jacen. Elle sourit d’un air entendu et se remit à sautiller en direction de Nom Anor.
– Cette chose ne peut pas nous avoir repérés, chuchota Ganner juste derrière Jacen. (En dépit de sa propre affirmation, il fit un pas en arrière dans l’obscurité.) Elle a regardé dans notre direction totalement par hasard.
– Elle a senti notre présence, dit Jacen, baissant ses macrobinoculaires. Et, pire que tout, elle a perçu notre appréhension.
Il s’abstint d’ajouter que la créature s’était manifestée dans la Force. La surprise qui émana soudainement de Ganner suggéra qu’il en était, lui aussi, arrivé à la même constatation.
– Qu’est-ce qui ne va pas, vous deux, hein ? demanda Jaina en les rejoignant près du portail. On a l’impression que vous venez d’entendre la voix de l’Empereur ! Ne me dites pas qu’une poignée de Yuuzhan Vong vous fiche la trouille ?
– Il y en a plus qu’une poignée. (Jacen passa ses macrobinoculaires à sa sœur. Ses émotions semblaient curieusement déconnectées, comme c’était souvent le cas à l’approche d’une bataille, mais Jacen s’abstint du moindre commentaire. Lorsque les premiers insectes paralysants commençaient à fuser dans tous les sens, elle était toujours la plus fiable et la plus déterminée de tous les Jedi présents. Ignorant totalement la compagnie de Yuuzhan Vong en train de se rassembler autour de l’appareil de Nom Anor, le jeune homme lui fit braquer ses jumelles sur la chose évoquant un oiseau.) Non, en fait c’est l’animal de compagnie de Nom Anor qui m’inquiète. Je pense que cette chose a senti ma présence dans la Force.
Jaina étudia la drôle de petite créature.
– Tu en es certain ?
– Non, pas certain, clarifia Jacen. Mais presque sûr.
– Moi aussi, acquiesça Ganner. Ce sourire…
– Mmh… dit Jaina, fronçant les sourcils et réfléchissant. Et cette emplumée, elle ne vous rappelle pas quelqu’un ?
– Je n’arrête pas de me dire que oui, dit Jacen. Le problème, c’est que je n’ai jamais rien vu de pareil.
– Ah, pardon, dit Jaina. J’oubliais que les services d’espionnage avaient récemment cessé de partager leurs informations avec Tonton Luke. J’ai vu quelques hologrammes très intéressants à ce sujet quand j’étais chez les Rogue. Et je peux vous dire qu’il s’agit de Vergere.
– Vergere ? s’étrangla Jacen.
Vergere était impliquée dans l’un des premiers attentats montés par les Yuuzhan Vong pour éliminer les Jedi. Mais c’était également elle qui avait confié à leur père les larmes curatives qui avaient permis à Mara d’échapper au triste sort que lui réservait sa maladie. A ce jour, les dissensions persistaient. Personne ne savait si Vergere était une alliée ou une ennemie, si elle était un simple familier des assassins ou bien un agent double agissant pour son propre compte.
– Soit il s’agit de Vergere, soit il s’agit d’une autre créature de la même espèce, dit Jaina. Et si elle a réussi à percevoir ta présence dans la Force, nous pouvons imaginer qu’elle est plus qu’un simple animal de compagnie pour nos adversaires.
Ganner hocha la tête.
– Mais elle était là, à signaler notre position à l’Exécuteur…
– Je n’en suis pas si sûr, dit Jacen. Si elle était vraiment notre ennemie, pourquoi alors aurait-elle sauvé la vie de Mara ? Pourquoi n’a-t-elle pas encore déclenché l’alarme et lancé les Vong à nos trousses ?
– Peut-être que nous avons mal perçu, suggéra Ganner. Peut-être qu’elle n’a pas senti notre présence.
– Mais moi j’ai senti la sienne, insista Jacen.
Leur discussion fut interrompue par l’arrivée d’Anakin et du reste de l’équipe d’assaut. Les deux Jedi Noirs, Lomi et Welk, les accompagnaient. Ils portaient à présent leurs propres sinistres armures et étaient couverts de pansements au Bacta fournis par Tekli. Jacen eut soudain honte de souhaiter que le groupe ait connu leur identité avant que son frère ne décide de leur porter secours. Il se dit qu’ils auraient très bien pu les sauver, après avoir tué la reine voxyn.
Ganner passa ses macrobinoculaires à Anakin. Nom Anor et Vergere venaient d’atteindre leur destination. Le Yuuzhan Vong sans armure qui avait intercepté le commando quelques instants auparavant apparut sur la rampe et commença à s’entretenir avec Nom Anor. Vergere s’interposa et sembla formuler un commentaire particulièrement sec. Le Vong se raidit, heurta son épaule de son poing pour la saluer, et l’inclut dans la conversation.
Anakin tourna les macrobinoculaires vers les troupes rassemblées près de la navette de Nom Anor.
– Combien…
– Trop nombreux pour qu’on les attaque, l’interrompit Jacen.
Anakin l’ignora et se tourna vers Ganner. Plus déçu qu’irrité par la réaction de son frère, Jacen ravala sa fierté et conserva le silence. Après tout, Anakin avait demandé une information, pas une recommandation.
– J’ai dénombré cent quatre guerriers, dit Ganner. Probablement trois pelotons et un officier superviseur.
L’expression d’Anakin ne changea pas, mais Jacen perçut une rare montée d’anxiété chez son frère. Le premier plan avait déjà échoué et le deuxième donnait l’impression de sérieusement prendre l’eau. Il fit de son mieux pour apaiser les appréhensions de son cadet, l’empêchant ainsi d’influencer les autres à travers le lien psychique.
Lomi vint se poster à côté d’Anakin.
– On peut s’échapper par le terrain d’entraînement. Il y a aussi une sortie par le complexe de laboratoires.
Jacen vit immédiatement le visage de Welk pâlir et il sentit sa terreur dans la Force.
– C’est quoi, ce terrain d’entraînement ? demanda Jacen.
– C’est là que les Yuuzhan Vong dressent les voxyns à nous chasser, expliqua Lomi. (Elle plissa les yeux, visiblement peu enchantée à l’idée d’être ainsi questionnée.) Ce sera dangereux, mais moins que par le spatioport.
– Et nous connaissons le terrain bien mieux que les entraîneurs, dit Welk. (En dépit de sa peur, il voulait soutenir son mentor, probablement parce qu’elle le terrifiait plus que les voxyns.) Les voxyns ne devraient pas nous poser trop de problèmes, surtout si nous sommes si nombreux.
– A moins que les étudiants de Skywalker ne soient pas à la hauteur de leur réputation, dit Lomi, toisant Anakin de façon méprisante. A toi de choisir, jeune Solo.
– Notre réputation est méritée, se contenta de répondre Anakin.
Le guerrier Yuuzhan Vong sans armure qui se trouvait avec Nom Anor indiqua le bas du péristyle, vers le quartier de détention, là où se cachait le groupe.
– Je doute qu’il soit en train de leur indiquer les toilettes, dit Ganner. Les choses risquent de devenir dangereuses…
– Pas dangereuses, juste intéressantes, répondit Anakin. (Il recula dans l’ombre du portail, puis fit signe à Lomi d’avancer en direction des quartiers de détention.) Montrez-nous le chemin.
Zekk s’approcha de lui.
– Mais, Anakin, qu’est-ce que tu fabriques ?
Jacen fit de son mieux pour tempérer l’inquiétude et l’indignation qui étaient en train d’envahir le lien mental, mais les sentiments de Zekk étaient bien trop puissants. Ils se répercutèrent à tous les membres du groupe, déclenchant animosité et ressentiment chez Raynar et Eryl ainsi qu’une sensation bien plus forte de la part des Barabel.
Anakin regarda à nouveau vers le terrain d’atterrissage, où Nom Anor et Vergere étaient en train de s’adresser à leurs troupes.
– On ne va pas pouvoir traverser le spatioport. Il faut suivre Lomi jusqu’au terrain d’entraînement.
– Mais c’est une Sœur de la Nuit ! insista Zekk. On ne peut pas lui faire confiance. On ne peut même pas l’emmener avec nous !
– Zekk, nous n’avons pas le choix, dit Jacen. (Il était bien trop content de pouvoir enfin soutenir une décision de son frère. Peut-être que cela aiderait à convaincre Anakin de lui pardonner son erreur à bord de la Mort Exquise.) Les abandonner ici reviendrait à les tuer.
– Pire ! dit Lomi, ouvrant la marche et passant devant les cellules de détention. Je doute que vous disposiez de sabres laser supplémentaires. A moins que vous n’ayez un ou deux blasters de trop…
– J’ai dit qu’on avait besoin de vous, dit Anakin. Pas qu’on vous faisait confiance.
– Comme tu veux, répondit Lomi en souriant d’un air rusé.
Elle s’engouffra dans un corridor tellement encombré d’arbres à ysalamiris que Jacen eut l’impression de traverser une des jungles de Yavin Quatre. Le lien psychique fut brutalement rompu lorsqu’ils abordèrent une zone où les petits lézards n’avaient pas subi l’influence des capsules de phéromones. Puis le corridor se transforma en une gorge de corail yorik si étroite que même Tekli fut obligée de progresser de côté. Si les murs n’avaient pas été recouverts d’une sorte de moisissure humide et glissante, Lowbacca n’aurait certainement pas pu pénétrer dans le tunnel.
A l’autre bout, le passage débouchait sur une forêt éparse d’arbres à l’odeur amère, aux ramages tombants et aux feuilles effilées comme des lames. A travers ce feuillage, Jacen vit qu’ils venaient d’entrer dans une sorte de canyon – une centaine de mètres de large et cinquante mètres de profondeur – dont le « ciel » était constitué de lichens étincelants accrochés au plafond au-dessus des arbres.
Lomi marqua une pause.
– Gardez vos armes à portée de main. Les dresseurs travaillaient ici avec une meute lorsque vous avez débarqué. Ils nous ont fait sortir en catastrophe. Les voxyns peuvent être planqués n’importe où.
Jacen regarda en direction de l’étroite gorge de corail yorik qu’ils venaient d’emprunter.
– Pourquoi ne seraient-ils pas revenus vers le quartier de détention ?
– Les moisissures, expliqua Lomi. Elles les empêchent de s’accrocher aux murs et le passage est trop étroit pour qu’ils puissent s’y glisser de côté.
Ils attendirent quelques instants, le temps pour Lowbacca et Ganner d’installer une paire de mines de détonite dans le corridor, puis ils reprirent leur route. Jacen parvint à rétablir le lien psychique et fut frappé par la discorde qui régnait dans le groupe. Avec les événements qui se retournaient contre eux et la perspective d’une embuscade de voxyns, les émotions semblaient échapper à tout contrôle.
Lomi guida le commando le long d’un chemin, puis changea de direction à une intersection que Jacen n’avait même pas entrevue à travers les feuillages. Les arbres semblèrent alors plus denses et plus sombres, leurs branches étaient drapées de longues barbes de mousse frémissante. Ils avaient à peine franchi une cinquantaine de mètres qu’un craquement étouffé retentit derrière eux, bientôt suivi du fracas distant d’un éboulis de rochers.
– Détonation des mines confirmée, rapporta 2-4S. Estimation des pertes incalculable à cet instant précis.
– On s’en était douté, déclara Tahiri.
Lomi, toujours en tête, les entraîna dans les méandres de la forêt et les sarcasmes de Tahiri se firent plus fréquents au fur et à mesure que les arbres devenaient plus sombres et plus grands. Deux coraux skippers passèrent au-dessus d’eux. Ils montèrent en chandelle vers le plafond avant de faire demi-tour et de plonger vers la cime des arbres.
– Présence détectée ! annonça 2-4S.
Lomi emmena le commando dans une fissure qui s’ouvrait le long d’un marais aux eaux verdâtres où flottaient les troncs décharnés d’arbres abattus.
– 2-4S, occupe-toi de l’intersection, ordonna Anakin.
– Affirmatif, répondit le droïde.
Une petite centaine d’ondoiements se produisirent à la surface de l’eau lorsque les blasters du droïde entrèrent en action et retentirent dans le canyon.
– Vaisseau de tête détruit, annonça 2-4S dans les comlinks du groupe.
Les détonations continuèrent pendant une ou deux secondes jusqu’à ce que leur son soit couvert par le crépitement d’une décharge de plasma. A travers les branchages, Jacen vit le disque sombre du corail skipper rejoindre l’embouchure du canyon, ses flancs déversant alentour une inquiétante vapeur noire.
– Respirateurs ! cria-t-il.
La plupart des membres du commando étaient déjà en train d’ajuster leurs masques de protection sur leurs visages. Les deux Jedi Noirs échangèrent un regard désespéré. Lomi se tourna vers Anakin et tendit la main.
– J’ai besoin d’un masque !
– Vous n’avez qu’à retenir votre respiration, dit Zekk d’un ton méchant.
– Et qui nous servira de guide si elle meurt, hein ? demanda Alema.
La Twi’lek lança son propre masque à travers le marais, utilisant la Force pour le faire tomber juste entre les mains tendues de Lomi. C’est alors que le mugissement des fusées de propulsion de 2-4S retentit au carrefour. Jacen se retourna pour voir le droïde s’élever au-dessus du marais, debout sur une colonne de feu jaune, tirant de toutes ses armes en direction de la proue du corail skipper. Le pilote ennemi contre-attaqua en décochant deux balles de plasma vers le thorax du droïde. Le CYV 2-4S disparut dans une tornade d’éclairs blancs. Il était cependant parvenu à dévier son vol pour se jeter contre le corail skipper en déclenchant ses charges d’autodestruction.
L’engin et le droïde furent simultanément désintégrés dans un éclair aveuglant. La vision de Jacen fut momentanément troublée et l’onde de choc le fit tomber dans l’eau à la renverse. Il fut rattrapé par la main solide de Tenel Ka. Après l’avoir aidé à se redresser, elle lui déclara quelque chose qu’il n’entendit pas à cause des bourdonnements qui retentissaient dans ses oreilles. Mais il devina le sens de ses propos par le truchement du lien psychique : son masque respirateur ne lui servirait pas à grand-chose tant qu’il le tiendrait à la main.
Jacen ajusta les courroies autour de sa tête, plus que perturbé par l’annihilation de 2-4S. Non seulement le droïde s’était comporté comme un camarade valable et respecté, mais, à présent que lui et 2-1S étaient détruits, le commando était terriblement fragilisé. Leurs protecteurs partis, ils seraient obligés de se débrouiller seuls.
Lorsque les taches lumineuses qui flottaient devant ses yeux disparurent enfin, Jacen aperçut un nuage de fumée huileuse qui dévalait le canyon dans leur direction. Derrière cette fumée stagnait la nuée noirâtre déversée par le corail skipper au moment de sa destruction par 2-4S. Il se tourna pour prévenir les autres et vit Anakin qui était déjà en train de faire signe au groupe d’avancer. C’est alors qu’il ressentit la familière perturbation dans la Force, témoignant de la présence d’un voxyn droit devant eux.
– Par le sang des Sith ! s’exclama Tahiri, empoignant son sabre laser d’une main et son blaster de l’autre. Quand est-ce que les choses vont s’arranger ?
Une forêt de sabres laser surgit soudainement des mains des membres du commando.
– En route, ordonna Anakin. Restons en avant de ce nuage jusqu’à ce qu’il se disperse.
Les Barabel insérèrent leurs protections spéciales dans leurs oreilles et tombèrent à plat ventre. Ils glissèrent à la surface de l’eau, se servant de leurs puissantes queues pour se propulser. Les autres membres de l’équipe protégèrent également leurs conduits auditifs et avancèrent dans l’eau à la suite des compagnons de portée, certains tenant des sabres laser, d’autres des blasters, d’autres encore les deux.
Ils avaient progressé d’une vingtaine de mètres lorsque de sinistres gargouillements se produisirent dans l’eau entre les arbres, juste devant eux. Jacen perçut soudain une sensation de surprise émanant de Bêla. Il se tourna dans sa direction et voulut pousser un cri d’alarme, mais découvrit que les membres du commando étaient déjà en train de la rejoindre en s’éclaboussant abondamment.
La Barabel surgit de l’eau comme une fusée. Son corps s’aplatit contre un tronc d’arbre tout proche et elle grimpa précipitamment dans ses branches. Derrière elle jaillit le museau plat d’un voxyn. Sa gueule crénelée s’entrouvrit, prête à vomir un flot d’acide. Une tornade de rayons de blasters convergea vers la tête du monstre. La plupart rebondirent sans effet sur ses écailles, mais certains parvinrent à brûler les zones sensibles qui se trouvaient autour de ses yeux et de ses ouïes. Ganner et Alema bondirent et tranchèrent la tête de la créature avec leurs sabres laser. Le reste, fumant, disparut dans les eaux verdâtres du marais.
– Je vous l’ai trouvé, votre voxyn ! cria Bêla en descendant de son arbre.
Les trois Barabel se mirent à siffler d’hilarité sous leurs masques respirateurs. Soudain, la nuée sombre les rattrapa et de petites gouttelettes de condensation noire commencèrent à tomber dans l’eau.
– Alema ! Welk ! Sous l’eau ! cria Jacen.
Alema avait déjà plongé avant même qu’il ait eu le temps de terminer sa phrase. Mais Welk, qui n’était pas uni au groupe par le lien mental, fut plus lent. Perplexe, il regarda autour de lui pendant quelques instants, puis sembla finalement comprendre ce qui était en train de se produire et coula sous la surface. Il remonta immédiatement, inconscient et flottant sur le ventre.
Lomi invoqua la Force pour le ramener à lui, puis maintint son corps hors de l’eau pendant que Tekli l’examinait.
– Non, ça va, il respire… dit la Chadra-Fan. Je pense que c’est…
Elle laissa sa phrase en suspens car elle venait, ainsi que tous ceux unis par le lien mental, de percevoir une panique soudaine chez Alema.
– Tu penses quoi ? demanda Lomi, ne sachant pas ce qui venait de se passer. Est-ce qu’il va s’en tirer ou bien dois-je…
Elle fut interrompue par le son caractéristique d’un liquide immédiatement porté à ébullition. Le sabre laser d’Alema venait de s’allumer sous l’eau. La Twi’lek jaillit de la surface du marais dans une tornade de vapeur. Elle se servit de la Force pour exécuter un saut périlleux arrière au-dessus de la tête de Ganner.
– Un autre voxyn ! cria Alema en désignant la surface de l’eau du doigt. Il m’a attrapée par…
Elle retomba dans l’eau à plat dos. Ganner et Bêla allumèrent aussitôt leurs sabres et commencèrent à reculer tout en battant l’eau devant eux. Jacen se concentra pour atténuer les sentiments négatifs qui imprégnaient le lien mental afin de lui conserver toute son efficacité au combat. Anakin fit appel à la Force pour soulever Alema et la faire flotter dans l’air jusqu’à Tahiri.
– Occupe-toi d’elle. (Anakin indiqua le coin de forêt où les coraux skippers les avaient repérés la première fois.) Emmène Lomi et Welk. Attendez-nous sur la terre ferme.
– Moi ? (Tahiri, oubliant momentanément la Twi’lek, laissa couler cette dernière. Elle invoqua immédiatement la Force pour la ramener à la surface de l’eau.) Mais pourquoi moi ?
– Parce que mon frère te le demande ! dit Jacen. (Il tendit la main vers l’endroit où Alema avait coulé, ramena le sabre laser de la Twi’lek à lui et le colla dans les mains de la jeune femme.) Ce n’est pas le moment de discuter, Tahiri.
– Mais je ne discute pas, rétorqua cette dernière. J’aime pas qu’on me donne des ordres comme si j’étais une gamine.
Sur ce, elle fit signe à Lomi et Welk de la suivre, agrippa le corps d’Alema et retourna en direction du canyon. Jacen alluma son propre sabre laser et avança pour rejoindre les autres qui s’étaient lancés derrière le voxyn. Il vit les trois Barabel se disperser dans le marais, emportant avec eux des grenades à fragmentation. Apparemment, ils avaient une bien meilleure idée.
– Tout le monde en arrière ! ordonna Anakin, approuvant le plan des Barabel avant même qu’il soit formulé. Et surveillez bien ces arbres. Il ne faudrait pas que quelqu’un s’en prenne un sur la tête.
Les Barabel lancèrent leurs grenades à l’unisson, agissant de façon convergente depuis les zones les plus éloignées vers lesquelles le voxyn avait pu se retrancher. A chaque nouvelle colonne d’eau saillant vers le ciel, Jacen ressentait une violente onde de choc contre ses jambes. Dès la deuxième volée d’explosifs, trois voxyns vinrent flotter, inanimés, à la surface, les yeux hagards et les oreilles en sang. Ganner et Lowbacca se servirent de leurs sabres laser pour achever les créatures inconscientes.
– Ça fait quatre voxyns, dit Anakin en éteignant son sabre laser. La meute tout entière, on dirait.
– Peut-être, mais il serait sage de s’en assurer, suggéra Tenel Ka en regardant vers Jacen. Tu en sens d’autres ?
Jacen projeta les ondes de la Force afin de vérifier s’il y avait d’autres créatures. Il lui fallut quelques instants, mais il repéra un grand nombre de présences, se déplaçant en groupe, à plusieurs centaines de mètres de là dans le canyon.
– Il y en a d’autres, confirma-t-il. Une bonne demi-douzaine, au moins. Ils ont l’air sonnés et méfiants.
– Bien, dit Tenel Ka. Ça devrait nous laisser assez de temps pour avancer dans la direction opposée.
Anakin hocha la tête et le commando se mit en route. A une vingtaine de mètres de l’intersection, ils virent Tahiri et les autres venir à leur rencontre en courant.
– Non ! Par là ! dit la jeune fille en pointant dans la direction des voxyns. Nom Anor et son drôle d’oiseau arrivent avec une bonne centaine de guerriers Yuuzhan Vong…
– Il ne manquait plus que ça ! se plaignit Raynar, aplatissant une main sur son front avant de la glisser dans ses cheveux blonds. Qu’est-ce qui peut encore nous arriver de pire ?
Zekk regarda vers Lomi, puis détourna les yeux en secouant la tête, l’air de sous-entendre que c’était le type de danger auquel on s’exposait quand on pactisait avec les Jedi Noirs. Jacen sentit qu’il lui faudrait bientôt avoir une petite conversation avec Zekk, à propos de son impact sur le lien mental, dès que l’opportunité s’en présenterait. Anakin, en revanche, semblait ne pas se soucier du sentiment croissant de fatalisme qui semblait à présent gagner toute l’équipe.
Apparemment sourd à la remarque de Raynar, Anakin donna une tape amicale sur l’épaule de Tahiri tout en lui adressant le légendaire sourire goguenard des Solo.
– Pas de problème ! dit-il.
Lowbacca grogna une question que M-TD s’empressa de traduire aussi précisément que possible :
– Maître Lowbacca aimerait savoir si vous avez perdu la tête.
– Ça fait un bon moment qu’il l’a perdue ! répondit Jaina en riant jaune. Et s’il est en train de penser à la même chose que moi, je crois que son idée est assez dingue pour marcher.
Espérant partager avec les autres l’étincelle émotionnelle positive suscitée par les paroles de Jaina, Jacen projeta les ondes de la Force vers sa sœur. Il ne détecta que la rude détermination au combat qu’il avait ressentie auparavant. Essayant de voiler son inquiétude, il se contenta de demander :
– Et on peut savoir à quoi vous pensez, tous les deux ?
– A une embuscade.
Anakin hocha la tête et désigna quatre arbres.
– Voilà notre zone de piège. Nous couperons la route des Yuuzhan Vong par l’arrière et nous les prendrons entre deux barrages de tirs croisés. Depuis les arbres sur l’arrière, au niveau du sol sur l’avant.
Le lien mental était encore suffisamment intense pour qu’il n’ait pas besoin de leur donner de plus amples explications. Les équipes de tireurs coururent jusqu’aux positions qu’on leur avait assignées. Les humains se dispersèrent dans l’eau du marais le long des parois du canyon. Lowbacca emmena Jovan Drark et les Barabel dans les arbres et les disposa en éventail autour du passage. Tekli se servit de la Force pour soulever Alema et Welk afin de les placer en hauteur à l’abri des branches, bien au-delà de la zone d’embuscade. Jacen se positionna à l’intersection de leurs lignes de tirs afin de maintenir un contact aussi efficace que possible au lien psychique pendant la bataille.
Lomi sautilla jusqu’à Anakin, qui se tenait dans l’eau à environ cinq mètres de son frère.
– Très impressionnant, jeune Solo, dit-elle. Où veux-tu que je me place ?
– En dehors de nos pieds. Vous n’avez pas d’arme.
Lomi lui adressa un sourire sarcastique.
– Un Jedi n’est jamais désarmé, Anakin. Tu préfères que j’utilise un blaster ou bien que j’invoque le Côté Obscur ?
Anakin soupira, puis s’empara de son communicateur afin de demander à Lowbacca de lui faire passer le blaster G-9 et la ceinture de grenades d’Alema.
– Non, Anakin, tu ne peux pas faire ça ! protesta Zekk, si fort que le jeune homme entendit sa voix retentir en dehors du comlink.
– Ce n’est pas à toi de décider, Chasseur de primes, répondit Anakin. Les choses peuvent vraiment mal tourner et elle a le droit de se défendre.
– Dis-lui que Welk et moi, nous promettons de ne pas faire appel au Côté Obscur tant que nous serons armés, dit Lomi d’un ton dédaigneux. Ça devrait le calmer.
Anakin relaya le message.
– Et après ? demanda Zekk d’un ton sarcastique. Tu as l’intention de les inclure dans le lien psychique, c’est ça ?
Un cliquetis d’avertissement retentit dans les comlinks. Les Jedi humains disparurent sous la surface du marais, comptant sur la réserve d’oxygène de leurs masques de protection pour continuer à respirer sous l’eau. Il ne leur fallut pas longtemps pour discerner la tension qui régnait chez ceux qui observaient l’approche de l’ennemi depuis la cime des arbres. Mais la sensation fut bientôt perturbée par les doutes qu’éprouvaient Zekk et certains autres à l’idée de se trouver aux côtés de Jedi Noirs et armés. Jacen, qui n’était pas non plus très enthousiaste, se dit qu’il s’agissait finalement d’une option préférable à l’invocation du Côté Obscur. Il fit de son mieux pour atténuer le ressentiment de Zekk et pour conserver l’attention de tous sur les événements à venir. Mais il devina que la discorde affecterait leur efficacité au combat. Il le sentit même clairement.
Finalement, Jacen entendit sous l’eau les pas des guerriers Yuuzhan Vong avançant dans le marais. Il perçut également une soudaine jubilation de la part des Barabel, faisant ainsi savoir à tout le monde qu’il était temps de passer à l’attaque. Le jeune homme émergea calmement à la surface et vit une masse de soldats ennemis progressant entre les arbres, bien trop confiants – convaincus, apparemment, que même des Jedi n’oseraient pas les attaquer à un contre cinq.
Il semblait évident qu’ils ne connaissaient pas bien la famille Solo. Jacen arma sa grenade à fragmentation, la lança au milieu des Yuuzhan Vong, leva son blaster T-21 à répétition et ouvrit le feu.
Les Yuuzhan Vong réagirent comme les guerriers parfaitement entraînés qu’ils étaient. Alors que les arbres des marais explosaient en myriades d’échardes et que les rayons fusaient tout autour d’eux, ils conservèrent leur calme. Les officiers aboyèrent immédiatement des ordres avant d’être abattus par Jovan Drark et son fusil de tireur d’élite, le « long blaster ». Jacen aperçut brièvement Nom Anor en train de crier quelque chose dans un villip qu’il portait à l’épaule. Il fit pivoter son puissant blaster G-9 vers l’arrière du détachement, en direction de l’Exécuteur, mais ne put se résoudre à tirer. Enfin, pas immédiatement. C’était une chose d’attaquer un adversaire impersonnel en pleine bataille, c’en était une autre d’abattre de sang-froid un détestable ennemi. Jacen avait appris sur Duro, lorsqu’il avait été contraint d’agir pour empêcher Tsavong Lah de tuer sa mère, qu’un Jedi était libre – et non obligé – de protéger les gens du mal. Mais viser une personne spécifique par pur instinct de colère ressemblait encore trop à un meurtre. Se servir de la bataille comme d’une excuse pour justifier un acte aussi sinistre était le meilleur moyen de sombrer vers le Côté Obscur.
Avant qu’il ait eu le temps de résoudre ce conflit, Vergere surgit de derrière un arbre, se plaçant comme par inadvertance entre Jacen et sa cible. Le jeune homme leva son arme, ajustant sa visée sur la tête de Nom Anor. Vergere braqua sur lui ses yeux en amande. Pendant un bref instant, leurs regards se croisèrent. Puis elle attira l’Exécuteur à l’abri derrière un arbre. Jacen pressa la détente et vit son rayon traverser le marais en un éclair sans causer le moindre dommage. Il concentra à nouveau son attention sur la bataille.
Leurs officiers morts et leurs armures de crabe vonduun cédant aux tirs ennemis, les soldats Yuuzhan Vong décidèrent de chercher refuge sous l’eau. Quelqu’un cria « Fragmentation ! » dans le comlink. Jacen cessa de tirer et s’empara d’une grenade accrochée à sa ceinture. Il se dit soudain qu’il ne savait absolument pas qui avait bien pu lancer l’ordre. Le lien mental était en train de se désagréger.
– Délai de deux secondes, déclara Anakin dans le communicateur. Armez !
Le temps pour Jacen de presser son pouce contre la commande de retardement, les Yuuzhan Vong étaient déjà en train de se rassembler. Deux douzaines de soldats émergèrent des eaux, à l’abri des arbres ou des troncs qui flottaient à la surface.
– Feu !
Jacen lança sa grenade vers le centre du piège en même temps que tout le monde. Puis il leva rapidement son blaster et ouvrit à nouveau le feu. La surface du marais sembla entrer en éruption et les corps de plusieurs guerriers ennemis se retrouvèrent à flotter sur l’eau, les bras en croix, le regard perdu vers le ciel, saignant abondamment par les yeux et les oreilles.
Des flux continus de scarabées paralysants ou tranchants commencèrent à bourdonner entre les arbres où les survivants étaient encore cachés. Jacen entendit quelques-uns des Jedi gémir, visiblement touchés par les insectes en dépit de leurs combinaisons blindées. Quelque part en contrebas, un sabre laser fut allumé. Ganner avança dans l’eau tout en frappant les scarabées qui tombaient du ciel.
– Ganner, qu’est-ce que tu fais ? lança Anakin dans son comlink.
– On ne va pas les laisser nous canarder comme ça ! répondit Ganner.
Lomi s’avança à son tour, son corps ondulant et pivotant au fur et à mesure qu’elle esquivait les scarabées paralysants. Son blaster illuminait l’air ambiant de ses éclairs étincelants, abattant la plupart des scarabées qui fusaient vers elle. Sa progression eut au moins pour effet d’impressionner les Yuuzhan Vong. Ils concentrèrent leurs tirs sur elle.
– Un instant ! lança Jacen dans son communicateur. (Il était persuadé que le commando pourrait avancer en masse et terrasser la patrouille Vong, mais une telle action ne se ferait pas sans perte.) Je crois que je peux les faire détaler. (Il sentit une question se former dans l’esprit d’Anakin.) Les voxyns, expliqua-t-il. Je crois que je peux me servir d’eux.
– Tu crois ? demanda Anakin.
– Certain, lui assura Jacen.
Le cadet hésita quelques instants.
– Essayons toujours, dit-il enfin.
Ganner et Lomi retournèrent à couvert. Jacen chercha dans la Force les voxyns qu’il avait détectés quelques instants auparavant, essayant d’apaiser leurs craintes, leur laissant croire qu’il n’y avait pas de danger à approcher.
Les créatures réagirent presque trop bien. Le commando tout entier perçut un déchirement affamé dans la Force alors que les voxyns essayaient de les repérer. Jacen les sentit alors s’engager dans le canyon en direction de la zone d’embuscade. Les deux forces en présence échangèrent encore quelques tirs sporadiques. Les Yuuzhan Vong semblaient satisfaits de se retrouver à couvert, croyant à tort que les renforts arriveraient bientôt. Les Jedi l’étaient, eux, de laisser ainsi leurs adversaires dans l’erreur. Jacen songea un instant à envoyer un message à Jovan Drark pour lui demander de garder un œil sur Nom Anor et Vergere, puis se ravisa. Il avait l’impression qu’il s’était déjà suffisamment approché du Côté Obscur.
Moins d’une minute plus tard, un Yuuzhan Vong poussa un grondement de surprise, avant de gargouiller de façon épouvantable pendant que l’un des voxyns l’attirait sous l’eau. Plusieurs soldats poussèrent des cris en se sentant frôlés par les créatures, mais seuls deux d’entre eux se mirent à hurler, preuve qu’ils venaient d’être attaqués. Les voxyns, comprit Jacen, semblaient bien plus intéressés par les champions de la Force qui se trouvaient dans les parages.
– Sortez de l’eau, tout le monde ! appela-t-il dans son comlink.
Ses camarades Jedi se servirent de la Force pour se propulser au-dessus de la surface jusque dans les arbres. Jacen déclencha la mise à feu d’une grenade qu’il lança dans le marais. Même si celle-ci n’était pas tout à fait aussi puissante qu’une grenade à fragmentation, elle serait à même de produire une onde de choc suffisamment efficace. Jacen attendit que la grenade explose et contacta mentalement les voxyns, leur suggérant que les responsables de l’attaque se trouvaient encore dans l’eau.
Plusieurs soldats ennemis crièrent. Quelques-uns essayèrent de gagner un abri et furent abattus par Jovan et les Barabel. Mais une douzaine de Vong étaient encore bien cachés et continuaient de lancer leurs scarabées paralysants vers la cime des arbres. Jacen escalada un tronc et rompit le lien mental – qui ne semblait plus d’une grande efficacité, de toute façon – pour se concentrer uniquement sur les voxyns. Il lança une nouvelle grenade à fragmentation dans l’eau et encouragea vivement les créatures à attaquer tous les individus qui se trouvaient encore dans le marais.
Les assauts des Yuuzhan Vong contre les Jedi cessèrent brusquement, les guerriers étant à présent obligés de se battre contre les voxyns. Certains d’entre eux essayèrent de se hisser dans les arbres, comme l’avaient fait les Jedi, mais, étant incapables de se servir de la Force pour s’aider, ils ne purent grimper suffisamment vite pour échapper à leurs poursuivants. Lowbacca et les Barabel profitèrent de la confusion pour sauter de branche en branche et attaquer leurs adversaires par le dessus. Ils se retrouvèrent bientôt à ne tirer que sur des voxyns et les dernières grenades forcèrent les créatures tapies sous l’eau à remonter à la surface.
Jacen se laissa tomber dans le marais, n’éprouvant aucune culpabilité d’avoir attiré les monstres vers leur funeste destin. Il n’éprouvait pas, non plus, la moindre fierté. Peut-être que Zekk avait raison. Peut-être que la présence de Lomi suffisait à influencer l’ensemble du commando. Jacen était toujours en train d’essayer de tirer cela au clair lorsqu’il vit Anakin avancer dans l’eau jusqu’à lui en compagnie de Tahiri. Tous deux affichaient des sourires jusqu’aux oreilles.
Tahiri attrapa le bras de Jacen et attira le jeune homme à lui pour l’embrasser sur la joue.
– Génial !
– Bien joué ! dit Anakin en lui adressant une tape amicale dans le dos. (Il y avait plus de chaleur dans ce geste qu’il n’en était passé entre les deux frères depuis l’incident de la station de Centerpoint.) Tu as sauvé beaucoup de Jedi aujourd’hui.
Jacen songea qu’il aurait été encore bien plus heureux si la journée avait été effectivement terminée.